Critique Whiplash

Lorsque ambition et obsession se confondent


Appréhension et crainte. Voilà les termes qui caractérisaient au mieux mon état d’esprit avant de visionner ce long métrage. Car il est vrai qu’après avoir vu l’affiche et pris connaissance du synopsis, j’étais plus que mitigée quant au film. Ce scepticisme était principalement lié au traitement réservé à l’univers de la batterie. En effet, à première vue, l’exploration d’une telle thématique ne m’intéressait pas. Cependant, je me suis tout de même laissé tenter, avant tout pour la présence de J.K Simmons au casting.

Et quelle erreur de jugement de ma part ! Ce film est une véritable claque, un film bien plus fort et intelligent qu’il n’y parait. Car au-delà de son sujet « musical », le film aborde des thèmes très intéressants et pousse à la réflexion (des sujets comme le sens du sacrifice, le dépassement de soi, l’abnégation ou la question de l’échec sont abordés par exemple). A partir de là, le film nous propose des questionnements également pertinents : Jusqu’où peut-on aller pour atteindre ses rêves ? Comment ne pas se laisser dévorer par son obsession ? L’ambition artistique doit-elle être forgée de limites ? Et quels sacrifices est-on prêt à faire au nom de sa passion ? Ou alors, jusqu’où sommes-nous (en tant qu’artiste) prêt à aller au nom de l’Art ?


Tout d’abord, contextualisons un peu le film : Andrew, 19 ans, est un jeune homme ambitieux et perfectionniste qui intègre le conservatoire de Manhattan. Il a pour objectif de devenir le meilleur batteur de sa génération en intégrant l’orchestre dirigé par Terence Fletcher, un professeur féroce et intraitable. Un jour, alors qu’Andrew s’entraine, Fletcher accepte de le prendre sous sa direction. Cependant, il se rendra vite compte que la quête vers l’excellence n’est pas si simple et nécessite de nombreux sacrifices...

La séquence d’ouverture se définit, en quelque sorte, comme la matrice d’un film. En effet, les premiers plans permettent d’anticiper et de synthétiser l’entièreté du long métrage. Dans le cas de Whiplash, la première séquence permet au spectateur d’être plongé, en quelques instants, dans cette atmosphère de tension et de lourdeur. Premier plan, la caisse claire résonne et fait bourdonner nos oreilles, rendant presque contraignant l’écoute de cet instrument. Ce seul plan, sans image, annonce au spectateur l’importance du son dans le film et son impact tensionnelle considérable (favorisé par une montée en puissance du rythme de la batterie). Puis, la caméra avance dans un couloir sombre. Au fond du cadre, Andrew est présent, seul, devant sa batterie et mis en avant par une porte aux parois noires et épaisses. La caméra s’avance lentement le long du couloir, qui, du fait de son éclairage particulier et verdâtre, le rend froid et lugubre. Lorsque la caméra arrive enfin au plus près d’Andrew, on se rend compte qu’il s’agit du point de vue de Terence Fletcher. Dès lors, une confrontation entre les deux protagonistes principaux du film se met en place. La scène est très dynamique du fait d’une succession de champs/contre champs. En effet, ceux-ci accentuent la tension et renforce ce sentiment de confrontation. Cette courte entrevue entre Fletcher et Andrew communique déjà les prémices d’un duel qui s’annonce explosif. Personnellement, le film m’avait déjà conquise rien qu’avec cette scène d’ouverture. Elle est courte, rythmée et pose efficacement les bases du long-métrage : les thématiques, la personnalité des deux protagonistes principaux ainsi que l’atmosphère globale qui régnera durant tout le film.


Une des principales qualités du film est également son montage. Durant tout le film, on assiste à la mise en place d’une relation que l’on peut qualifier de « toxique » entre Andrew et Fletcher. Cette relation est également assez ambigüe, car basée sur une relation de marionnettiste. Le problème, c’est qu’on ne sait pas réellement qui tire les ficelles. Au départ, la position de supériorité de Fletcher sur son élève est très palpable (on peut également noter que dans les séquences où Fletcher semble « dominer » Andrew, celui-ci prend une grande place dans le cadre et semble l’écraser). Mais plus le film avance, et plus ce rapport est remis en doute jusqu’à la fin du film et cela participe énormément au sentiment de tension permanente. De plus, la répétition des champs/contre champs, rend le montage distinctif et en fait un film « dur », qui provoque un sentiment d’épuisement ressenti autant par le spectateur que par les personnages.

Le montage se caractérise également par des gros plans, très présents tout au long du film. Ils témoignent de la souffrance autant psychologique que physique (le sang et les ampoules sur les mains ou les gros plans visage qui accentue la douleur et l’angoisse des personnages). D’ailleurs, ce sentiment d’angoisse se ressent aussi par l’atmosphère générale qui se dégage du film : la majorité des scènes se jouent dans des salles de cours étroites, sombres, très peu éclairées par des lumières artificielles et qui donnent une impression d’un endroit irrespirable. Comme si Andrew se renfermait sur lui-même et se cloîtrait, progressivement, dans sa quête obsessionnelle de la réussite.



Une des choses qui m’a particulièrement marqué lors du visionnage, est que Whiplash est un film qui transpire, à proprement parler. Par conséquent, le rythme effréné durant les multiples répétitions ou représentations permet de ressentir la tension et l’émotion des protagonistes. Cette sueur est également très palpable tout au long du film (que ce soit par le personnage principal ou même les instruments qui « suent » comme pour témoigner de l’intensité du rythme).


On peut voir également une réelle évolution et « progression » du personnage d’Andrew, particulièrement intéressante et troublante. Au départ assez calme et réservé, les enjeux vont le transformer et l’entrainer dans une sorte de spirale infernale. Pour Andrew, le chemin vers la gloire va donc passer par celui de l’autodestruction. Fletcher, violent et abusif, pousse alors Andrew dans ses derniers retranchements et provoque également sa descente aux enfers. En soi, le film tend à montrer l’obsession d’un artiste qui se laisse dévorer par sa passion.

Il est assez complexe de parler de ce film sans parler de sa fin. Une des fins les plus incroyables qu’il m’est été de voir depuis longtemps au cinéma. Cette scène finale de 9 minutes qui détermine l’accomplissement du chemin parcouru par Andrew. Un moment d’une intensité incroyable qui repose sur l’utilisation de très gros plans (au niveau des yeux) entre Fletcher et Andrew. Ces simples jeux de regards suffisent pour exprimer toutes les émotions que ressentent les personnages. Ainsi, aucun mot n’est prononcé, car aucun mot n’est nécessaire pour décrire la scène. Seule la musique est présente car seule la musique compte. Paradoxalement, il se dégage une très grande beauté dans une violence présente tout le long du film. Cette beauté se caractérise surtout dans le dernier moment de grâce du film, qui plus est, sa fin.


En somme, l’art et la beauté de la musique sont réduits à un combat de boxe de tous les instants. Ce film se ressent autant physiquement (difficile de ne pas taper du pied tout le long du film) que psychologiquement. Et je dois avouer mettre pris une véritable claque cinématographique. Une claque d’un film qui a su me démontrer que, parfois, les apparences sont trompeuses et qu’il ne faut pas toujours se fier à un synopsis et une affiche pour témoigner de la qualité ou non d’un film. En outre, Whiplash est un pur moment de cinéma. Un film sobre, brut, froid, dur mais véritablement touchant et qui, j’en suis sure, marquera son époque.

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