Critique Les Fils de l'Homme



Renaissance de l’espoir 



Angleterre, 2027. Dans une société futuriste, dictée par un régime totalitaire, les êtres humains ne parviennent plus à se reproduire. De ce fait, l’annonce de la mort de la plus jeune personne, un homme âgé de 18 ans, met la population en émoi. Et pourtant, au même moment, une jeune femme tombe enceinte, un fait aussi incroyable qu’impossible, car il ne s’est pas produit depuis une vingtaine d’années. Cette jeune fille va ainsi devenir la personne la plus enviée mais également la plus recherchée de la Terre. Un homme, Théo, est alors chargé de la conduire jusqu’à un sanctuaire…

Voilà comment à la fois résumer et contextualiser Les Fils de l’Homme, œuvre qui pourrait se définir comme un véritable film d’anticipation, projection d’un futur semblant irréel et pourtant si proche du notre. Car ce film nous démontre comment l’humanité toute entière pourrait se retrouver vouée à l’anéantissement, nous dévoilant l’extinction, à la fois lente et inévitable de l’espère humaine. Ainsi, le film nous dépeint une représentation de notre monde, mais dans laquelle le spectateur s’identifie très facilement car il est proche de notre propre réalité. Et c’est en ça que le film frappe fort et rend ses messages plus impactants et percutants. De plus, le coup de maitre d’Alfonso Cuaron revient à rendre ce monde « fictif » extrêmement réel par le travail de l’esthétisme : que ce soit les voitures, les vêtements ou l’architecture urbaine de Londres par exemple.


Le spectateur va donc suivre durant 1h45, Théo, ancien activiste qui aura la difficile tâche de transporter l’unique femme enceinte de la terre jusqu’à un sanctuaire dont les intentions ne nous sont pas clairement dévoilées. Ainsi, le film nous narre l’histoire de personnages devant partir d’un point A pour arriver à un point B. Scénario en somme très classique et peu original dans sa forme. Mais au-delà de cette forme, la force du long-métrage réside dans son fond. Terrorisme, immigration, religion, stérilité, propagande… Autant de thèmes abordés et qui témoignent de l’incroyable richesse scénaristique de cette œuvre. Ainsi, le film tend à s’intéresser davantage aux épreuves que doivent traverser les personnages et par quels moyens ils réussissent ou échouent, plus que l’aboutissement en lui-même. Le chemin pour y arriver sera alors semé de nombreuses embuches, questionnant notre rapport au monde, à la nature et à notre propre humanité.

Au-delà de son scénario et des thèmes abordés plus que d’actualité, le film se démarque par sa mise en scène. Une mise en scène parsemés de nombreux plans séquences, tous aussi impressionnants les uns que les autres. De ce fait, ceux-ci ne sont pas utilisés à titre figuratif, mais sont porteurs de sens dans le développement du récit comme dans les messages que l’œuvre veut nous transmettre. Ils permettent la progression des relations entre les personnages, une montée de tension progressive et une immersion du spectateur devenu lui-même un personnage du film. Une certaine authenticité ressort donc de ces plans, notamment car l’image ne semble pas altérée. En effet, le film n’utilise aucun cut durant ses séquences, ce qui nous donne un rendu brut et extrêmement réaliste. De plus, le traitement donné au film nous semble authentique car l’œuvre utilise des décors réels et naturels : on croit à ce que l’on voit et cela renforce alors la puissance des scènes. Nous, spectateurs, sommes dans le film et nous vivons ce que les personnages vivent. Par conséquent, durant les scènes de combats, on se sent comme un reporter de guerre, jouant notre propre vie. Durant les scènes plus intimistes, l’utilisation du plan séquence est tout autant pertinente, car elle permet au spectateur de se sentir proche des personnages et présent autour d’eux, faisant parti intégrante de ce monde apocalyptique. Cela rajoute donc une forte puissance émotionnelle à ces scènes.


L’aspect intimiste se démontre également par l’utilisation d’une caméra subjective, rendant le spectateur actif d’un film qu’il subit plus qu’il ne regarde. Ainsi, Cuaron nous entraine dans une guérilla urbaine, la caméra-spectateur se baladant comme bon lui semble. Entre scène guerrière ultra violente, camps de concentrations ou scènes quotidiennes d’un peuple vivant dans une pauvreté extrême, le rendu est ainsi d’autant plus réaliste et percutant dans ses messages. Cependant, la caméra n’hésite pas à garder une certaine objectivité, devenant simple témoin et observateur d’un spectacle lugubre ou personne (protagonistes et spectateurs), ne peut agir. A noter que les nombreuses excursions de la caméra accentuent l’immersion et rapproche davantage l’œuvre du reportage de guerre que du « film » à proprement parlé. Ce côté reportage est appuyé par l’utilisation d’un format 1:85. Ainsi, le métrage se targue d’être plus réel que fictif par l’absence des bandes noires, ce qui lui donne cet aspect documentaire (les bandes étant particulièrement utilisées dans les films actuels et se définissent par un format 2:35).

Ainsi, Les Fils de l’Homme pourrait se décrire comme l’inévitable dégression et disparition de l’espèce humaine : là ou l’espoir n’est plus, le chaos s’installe petit à petit. Mais ce qui est important de voir dans cette œuvre, c’est qu’elle n’est pas forcément si dystopique qu’elle en a l’air. En effet, dans de nombreuses scènes, l’espoir se fait ressentir. L’espoir de la vie, d’un renouveau et d’une certaine forme d’espérance dont « l’enfant » en est la source. Cet « enfant » représente à la fois la pureté, l’innocence de la vie et d’une certaine manière, ce que l’Homme a pu faire de plus beau, noyé dans le chaos de la guerre. On peut alors énoncer la scène lors de la sortie de l’immeuble. Ainsi, durant quelques instants, la guerre s’arrête, le temps semble se figer. Le film s’apaise et le nourrisson est révélé à la population ainsi qu’aux nombreux soldats présents. Cette interruption d’un quotidien morose, rythmée habituellement par le bruit des balles et des explosions, se met en pause pour apprécier un moment d’une pure beauté d’où, durant un instant, l’espoir semble renaitre. La scène devient alors une sorte de métaphore de l’enfant prodigue et libérateur du peuple. De ce fait, on en décèle des références bibliques, qui se confirme lorsque les soldats font le signe de croix et s’agenouillent devant l’enfant (ces références sont également visibles par l’utilisation des jeux de lumière et d’ombre durant tout le film). En ressort alors une forme d’ambivalence autant dans le son que l’image, entre un monde déchiré par la guerre et la violence, et la beauté de moments sensés évanouis et devenus, avec le temps, l’allégorie d’un monde disparu.


A noter la sublime photographie dont les couleurs désaturées sont empreintes d’un réalisme fort, accentuant le caractère apocalyptique de certaines scènes. L’utilisation de la lumière naturelle donne au film une atmosphère tantôt paisible, tantôt lugubre. L’ambiance se révèle être particulièrement oppressante, utilisant majoritairement des teintes sombres et poussiéreuses rendant certaines séquences très organiques. De plus, cette omniprésence de couleurs ternes et brumeuses nous révèle la pollution, embaumant voir asphyxiant tout et tout le monde (un problème déjà bien actuel depuis des années dans de nombreuses métropoles du monde). Mais dans ce brouillard se cache aussi la lumière, porteuse d’espérance et d’aspiration.



En outre, Les fils de l’Homme est un pur exercice de style, maitrisé de bout en bout et qui témoigne du talent d’Alfonso Cuaron en termes de thématiques et de mise en scène. Le long-métrage pourrait être défini comme un film dystopique, une vision apocalyptique et prédictive d’un futur inévitable. Mais de cette perception dystopique et obscure de notre monde et de l’humanité, se cache dans un coin une pointe d’espoir. Une lumière qui accompagne le film jusqu’à sa fin et qui permet d’y croire encore, malgré tout.

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