Critique de First Man


First Man : Poétique odyssée lunaire



Ce qui me taraudait l’esprit lors de l’annonce du nouveau film de Damien Chazelle tenait en une phrase : Comment rebondir et surprendre de nouveau, après les succès consécutifs de Whiplash et La La Land ? Car Chazelle fait partie de mes réalisateurs préférés et ses deux premiers films (n’ayant toujours pas vu son tout premier long-métrage à ce jour) m’ont profondément marqué. Et ce que je peux dire assez aisément, c’est que je n’ai pas été déçue. Chazelle livre ici un film extrêmement émouvant, poignant et personnel.

First Man, adaptation du roman First Man : The Life of Neil A. Armstrong de James R, nous raconte l'incroyable odyssée de Neil Armstrong (interprété par Ryan Gosling) qui réalisa l’exploit, le 21 Juillet 1969, de marcher sur la lune. Une histoire qui n’étonnera personne, car celle-ci est évidemment connue de tous et a marqué d’une pierre blanche l’histoire de l’Humanité. L’importance réside donc dans la manière de narrer cette histoire pour la rendre à la fois intéressante et novatrice au vu du sujet. Et là où Chazelle frappe fort, c’est qu’il surprend. Car First Man se focalise sur les êtres humains plus que sur la conquête spatiale en elle-même. En outre, tout en abordant sa quête personnelle et l'accomplissement de celle-ci, le réalisateur s’intéresse principalement à la sphère familiale et intime de Neil Armstrong.


Ainsi, Damien Chazelle concède une mise en scène immersive et impressionnante de réalisme. Que ce soit lors des scènes spatiales (décollages et alunissages), la caméra épaule offre au spectateur une sensation d’étouffement, tout en accentuant la perte de repère et le désarroi de Neil. De plus, la prépondérance des gros plans favorise d’une part l’immersion et d’autre part la sensation claustrophobique persistante. Chazelle va même jusqu’à placer la caméra de manière subjective, laissant le spectateur devenir, durant quelques instants, Neil Armstrong lui-même au sein de son cockpit. Même s’il faut avouer que certaines séquences dans le vaisseau font un peu tourner de l’œil… à vouloir rendre les scènes trop immersives, il peut perdre le spectateur. Cette caméra épaule et ses gros plans sont également omniprésents lors des séquences familiales, ce qui donne un côté très réaliste et accentue l’instabilité de la famille dans les moments de doute (la caméra ayant tendance à être penchée pour renforcer la tension). Chazelle nous dépeint donc le quotidien d’Armstrong au sein de son cercle familial de manière très intimiste et pudique. Un quotidien qui tend à dévoiler le chaos intérieur et les nombreuses épreuves qu’Armstrong devra subir durant sa vie (principalement sur le processus du deuil en lien avec le décès prématuré de sa fille). Cette ambition de la conquête lunaire engendre des tensions au sein de sa famille et de son couple (sa femme étant incarnée par une Claire Foy remarquable de justesse).

Une ambition qui se transformera très vite en obsession. Et c’est en ce sens que tous les films de Chazelle peuvent être reliés : chacun de ses longs métrages tendent à raconter une quête individualiste. Cherchant à se dépasser, ses personnages veulent atteindre leurs rêves quitte à se laisser dévorer par leur ambition. Ainsi, à travers sa courte mais brillante filmographie, Chazelle s’intéresse au dépassement de soi, jusqu’où doivent et peuvent aller ses personnages pour accomplir leurs rêves (Dans Whiplash, Andrew veut devenir le plus grand batteur de Jazz, dans La La Land, Mia devient une actrice adulée de tous et Sébastien ouvre son propre club de jazz mais chacun vit de sa passion séparément). Et dans First Man, Neil décroche la lune… Mais à quel prix ? Pour chacun de ses personnages, l’accomplissement du rêve passe par des sacrifices…


Un des éléments qui se démarque du reste, est le parti pris scénaristique. Ici, pas de glorification sur l’exploit américain, on se moque même de la symbolique de l’Amérique à la conquête de l’espace. Dans son long-métrage, Chazelle a choisi de s’intéresser d’avantage aux dilemmes internes d’Armstrong et à son parcours de vie chaotique. Il s’intéresse aux épreuves faites de douleurs et de solitudes et comment celles-ci ont permis de forger l’homme qu’il est devenu. Autant dire qu’on est très loin du héros américain glorifié. Dans une majorité de films américains parlant de la conquête spatiale, les protagonistes sont décrits comme des héros, des surhommes, devenant même une fierté patriotique (je pense instantanément à Apollo 13). Ici, Armstrong est l’anti-héros américain. Un homme qui a réalisé des choses extraordinaires, mais qui était un homme ordinaire, fait de failles, de fragilités et de doutes.

Une des choses assez marquantes lors du visionnage du long-métrage, est l’importance du son. En effet, il participe à l’immersion dans les séquences spatiales, accentuant les sensations d’étouffement et de désarroi dans lesquelles se retrouve Armstrong. La bande sonore est à la fois faite de partitions très poétiques et lyriques participant à une atmosphère de flottement (notamment lors des voyages spatiaux) et faite de sonorités puissantes lors des scènes de décollages. A noter également le travail sur les couleurs, les ombres ainsi que la lumière naturelle qui donne aux paysages une atmosphère très paisible, poétique et pleine de douceur. Une poésie qui se retrouve dans certains plans où la musique lyrique accompagne les mouvements du vaisseau, se perdant dans un espace infiniment grand et vide. Au niveau de l’image, le film n’est pas sans rappeler les films des années 70 par la présence d’un grain qui donne également un côté documentaire et réaliste au film.


Neil Armstrong est donc interpréter par Ryan Gosling qui, une nouvelle fois, fait preuve d’un certain mutisme et d’un mystère où son jeu passe principalement par le regard comme c’était le cas dans Drive ou plus récemment Blade Runner 2049. Renfermé et mutique dans ses joies comme dans ses peines, Gosling livre une prestation toujours très juste dans First Man, où l’empathie envers cet anti-héros s’accentue par ses nombreux silences, souvent porteur de sens. Je pense notamment à la scène où Armstrong annonce à ses 2 fils qu’il ne reviendra peut-être jamais de la mission Apollo. Dans cette scène, tout se joue dans les regards autant entre Neil et ses enfants qu’avec sa femme. Le personnage de Gosling se retrouve même comme emprisonné dans le cadre par l’utilisation du gros plan (il finit d’ailleurs par se retrouver enfermé par l’encadrement noir de la porte de cuisine comme pour accentuer le propos à la fin de la scène). Et c’est là où Gosling est très juste, avec un simple regard, on comprend les émotions du personnage et ses dilemmes internes.


En somme, First Man est une véritable quête spectaculaire d’un homme ordinaire ayant réussi par de nombreux sacrifices, à réaliser l’impossible. Une quête d’acceptation de soi, de ses souffrances et de ses doutes. Une véritable odyssée sombre, intimiste et profondément émouvante.

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