De sang et d'or ( critique de Les frères Sisters)



 En 2015, Jacques Audiard remporte la palme d'or au festival de Cannes pour la première fois avec le film Dheepan. Narrant le parcours d'un guerrier tamoul contraint de fuir son pays, le Sri Lanka, avec sa famille et choisissant alors de s'exiler en France. Le long-métrage est sorti en pleine actualité de l'époque, en effet, de plus en plus de migrants étaient accueillis en Europe de l'ouest, fuyant leurs pays pour de diverses raisons. Malgré des atouts et des défauts, c'est selon le point de vue de chacun, Dheepan divisa les critiques, alors que Jacques Audiard était plutôt habitué à faire l'unanimité. On lui reprocha surtout de ne pas vouloir faire un film politique ou religieux et de cacher le principal propos du film derrière des visions oniriques qui n'avaient rien à faire là.


Pourtant c'est bien grâce à cette approche que le film séduit. Tour à tour bouleversant et entêtant, Jacques Audiard explore des territoires que son cinéma avait rarement parcouru. Il signe une sorte de western urbain mélangeant les genres que sont le drame familial, le récit de guerre et la fable politique. On peut reprocher à la fin du long-métrage de n’être absolument pas réaliste mais ce serait oublier que le film entier est teinté de cet onirisme, décidant simplement d'aller jusqu'au bout de son idée.


Si Dheepan eu un succès en festival et fut moyennement reçu par la critique, c'est tout le contraire qui arriva pour son nouveau long métrage. Les frères Sisters est son premier film en langue anglaise et est produit en parti par les Etats unis. Il n'est pas présenté au festival de Cannes, les producteurs lui préférant Venise. Jacques Audiard repart avec le lion d'argent du meilleur réalisateur, une récompense de plus à ajouter à son palmarès déjà bien fourni. Le film sort au cinéma en France le 19 Septembre 2018 et cette fois-ci les critiques sont bel et bien unanimes. Une récompense internationale et un succès critique, que peut on rêver de mieux lorsque l'on est un cinéaste de la trempe de Jacques Audiard ?

Et c'est peut être bien là que cela coince. Auréolé de toutes ces distinctions, il est évident que l'on est en droit de s'attendre à un long-métrage renversant dont la mise en scène nous laisse complètement béat et admiratif du travail de Jacques Audiard. La déception est d'autant plus grande lorsque l'on s’aperçoit que ce n'est pas vraiment le cas et que le film n'a rien de véritablement exceptionnel.

Il y a plusieurs manières d'aborder le huitième long-métrage de Jacques Audiard. Tout d'abord, il ne s'agit pas d'une volonté propre du réalisateur de s'attaquer au genre du western. En effet, c'est l'acteur John C.Reilly qui est venu le chercher et lui a proposé d'adapter le roman Les frères Sisters de Patrick de Witt. Voulant travailler avec des acteur américains depuis longtemps, Jacques Audiard accepte.
Il faut bien dire que sur le papier le projet est excitant : Jacques Audiard voulant réaliser un western américain avec en acteurs principaux Joaquin Phénix, John C.Reilly et Jack Gyllenhaal, rien que pour cela le film doit valoir le coup d’œil. Racontant le parcours de deux tueurs à gages, les frères Sisters, ayant pour mission de tuer Warm un chercheur d'or traqué par Morris un détective privé.
Voilà le postulat de départ de ce western que l'on pourrait croire en somme, toute classique, mais ce serait oublier que nous sommes dans un film de Jacques Audiard et s'il existe un cinéaste capable de renouveler le cinéma de genre c'est bel et bien lui.

De battre mon cœur s'est arrêté était un film d'amour déguisé en thriller, Un prohète un film d'initiation, un récit d'apprentissage travesti en film carcéral, Dheepan s'inspirait de la vie de tous les jours et devenait un conte moderne et un western urbain. Les frères Sisters sous ses apparences de western est en réalité un drame intimiste. C'est d'ailleurs le premier reproche que l'on peut faire au film de vouloir dissimuler sa véritable apparence sous les traits d'un western. Sur la forme il est vrai que l'on est en face d'un western, l'action se passe en 1851 dans l'Oregon les personnages principaux, deux chasseurs de primes, se déplacent à chevaux. Ce sont de véritables cow-boys il n'y a pas de doute là dessus. Les paysages défilant devant nos yeux, des grandes plaines désertiques, des montagnes rappellent les décors que l'on a l'habitude de voir dans les westerns. Les villes qu'ils visitent également nous confortent dans notre position (si l'on commençait encore à douter que nous étions bien dans un western, les saloons, les tenancières présents dans ces villes finissent de consolider notre jugement).


Oui mais justement tous ces détails sont trop beaux pour être complètements vrais. Le spectateur s'attendant à voir un western sauvage et brut risque d’être fortement déçu. Nous sommes devant un film de Jacques Audiard et même s'il s'agit de son premier film américain il ne va pas changer sa façon de faire pour autant. Dans tous ses films, ce qui l’intéresse avant tout ce sont les personnages bien avant l'histoire. De la petite frappe reconvertit pianiste de De battre mon cœur s'est arrêté au guerrier tamoul essayant de s’intégrer dans la société française dans Dheepan en passant par le taulard cherchant à se réinsérer de Un prophète. Tous ces personnages ont un point commun ce sont des anti héros, des rebuts de la société que tout le monde rejette et pourtant ils vont réussir, par n'importe quel moyen, à se faire une place dans ce monde. Les deux personnages principaux de Les frères Sisters n'échappent pas à cette règle. Ce sont des tueurs à gages et dès le début du film, on fait leur connaissance au moment ou ils font ce qu'ils savent faire le mieux, tuer d'autres hommes.
Et c'est là que commence un des principaux problèmes du film : comment rendre attachant des personnages qui passent leur journée à tuer d'autres hommes en étant rémunérés ?

La réponse arrive très tôt : en les faisant parler, discuter entre eux de détails sur leur vie et leur enfance. Des souvenirs qu'ils peuvent se remémorer à une époque ou ils n'étaient pas encore ces hommes. Il y a une volonté très forte de la part d'Audiard et de Thomas Bidegain de forcer coûte que coûte le spectateur à s'attacher à ces deux personnages, quitte à rendre certaines situations pompeuses et complaisantes. Peu importe que nous soyons ou non dans un western, Jacques Audiard ne s'en soucie pas et fait parler ses personnages jusqu'à frôler l'indigestion chez le spectateur. Plus le film avance plus le western de départ se transforme en drame intimiste centré sur deux personnages qui finissent par devenir énervants plutôt qu'attachants. La scène d’engueulade dans le saloon est excessive et ne sert pas véritablement le récit. L’aîné joué par John C.Reilly est le personnage le plus intéressant des deux, lui qui est sensé être le plus fort par sa robustesse et sa carrure s'avère aussi doux qu'un agneau. C'est d'ailleurs un reproche que lui fait son frère à maintes reprises.


Si les deux personnages principaux ne sont pas ceux auxquels on s'accroche le plus il y a un autre duo de personnages qui apparaît bien plus fascinant en tout cas dans son traitement. Morris le détective incarné par Jack Gyllenhaal suivant à la trace un chercheur d'or joué par Riz Ahmed, soit le fameux duo du film Nightcall reconduit une nouvelle fois pour notre plus grand plaisir. Morris est chargé de le surveiller le temps que les frères Sisters arrivent pour l'éliminer. Cela ne se passe pas vraiment comme prévu et les deux hommes, d'abord adversaires, décident de s'allier et partent à la recherche de l'or ensemble. Ces deux personnages sont mieux construits car moins bavards et démonstratifs comme le sont les frères Sisters. Les deux acteurs ne sont pas dans l'excès contrairement à un Joaquin Phoenix que l'on a bien du mal à reconnaître et on suit leur parcours avec un plus grand intérêt que celui des deux frères qui finissent par tourner en rond.

A ce moment du film ce que l'on attend le plus est la confrontation entre les deux camps, une confrontation spectaculaire et sanglante digne des plus grand westerns. Une confrontation qui n'aura pas vraiment lieu. C'est bien à partir de là que l'on bascule totalement dans le drame intimiste, cette confrontation se transforme en réunion et les ennemis d'hier évoluent en amis d'aujourd'hui.

Les quatre personnages deviennent alors véritablement attachants, chacun réussit à exister et apporter son savoir-faire à l'autre, notamment lorsque le personnages d'Ely, l’aîné des frères Sisters, se brosse les dents avec de la cire comme Morris. Cette utopie aurait pu durer tout le long du film, mais ce serait oublier à qui l'on a à faire. Il arrive toujours un moment dans les films de Jacques Audiard ou il se passe un événement qui perturbe le récit afin de le remettre en route et celui ci est provoqué par le personnage de Joaquin Phoenix. A cause de lui et de sa soif d'or, Morris et Warm se retrouvent défigurés et finissent par mourir laissant les deux frères en tête à tête comme au début du film. Au cours de l'aventure on doit bien dire que l'on finit par s'attacher tant bien que mal à ces cow-boys et on aimerait bien que leur aventure se termine bien.


Tout bon connaisseur d'Audiard sait que dans chacun de ses films, le héros a le droit à sa happy end. Une happy end qui parfois n'est pas vraiment justifiée. Dans le film, les frères Sisters n'ont pas besoin de se débarrasser de leur père spirituel représenté par le commodore puisque ce dernier meurt avant qu'ils soient revenus à leur ville de départ. Telle la fin de Dheepan, celle de ce long-métrage va sans doute faire jaser. Les deux frères retournent à leur domicile familial et sont accueillis par leur mère qui, après les avoir reconnu, s'occupent d'eux comme s'ils étaient encore des enfants. Finalement ces tueurs à gages ne sont pas de si mauvais bougres, ce sont juste des enfants ayant mal tourné et empruntant la même voie que leur père en somme.

En résumé, Les frères Sisters est loin d’être le grand western espéré, cependant en se basant sur les thèmes qui lui sont chers, Jacques Audiard signe un long-métrage intimiste et onirique dans la lignée de Dheepan.


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